Fax, téléphone et courrier pour transmettre les résultats de tests : la misère numérique du système de santé publique américain entrave la réponse aux coronavirus


 Avant de pouvoir gérer la pandémie, les responsables de la santé publique doivent gérer un système de données défaillant qui envoie des résultats incomplets dans des formats difficilement utilisables.

 

 Dans leurs efforts pour contrôler le coronavirus, les États-Unis continuent de rencontrer des problèmes causés par leur système de santé fragmenté, un mélange de technologies anciennes et nouvelles et des normes de données qui ne répondent pas aux besoins des épidémiologistes. Les responsables de la santé publique et les laboratoires privés ont réussi à étendre les tests à plus d'un demi-million effectués quotidiennement, mais ils ne disposent pas d'un système capable de gérer correctement cette avalanche de résultats.

 

Les services de santé suivent la propagation du virus avec un patchwork typiquement américain: certains résultats de test arrivent via réseaux numériques, mais d'autres viennent par téléphone, e-mail, courrier physique ou fax, une technologie retenue car elle est conforme aux normes de confidentialité numérique pour les données de santé. Ces rapports sont souvent dupliqués, envoyés au mauvais service de santé ou manquent d'informations cruciales telles que le numéro de téléphone ou l'adresse d'un patient.

 

L'absence d'un processus numérique standard entrave la notification des cas et la recherche des contacts.

 

« D'un point de vue opérationnel, cela rend les choses incroyablement difficiles », déclare le Dr Shah. « Les données circulent plus lentement que la maladie. »

 

Le torrent de données papier a conduit au moins un service de santé à demander des forces supplémentaires. L'État de Washington a récemment fait appel à 25 membres de la Garde nationale pour saisir manuellement les résultats de tests parvenus par fax.

 

Le Dr Mark Escott, l'autorité locale de santé de la ville d'Austin et du comté de Travis, affirme que son bureau reçoit environ 1 000 télécopies par jour, y compris des résultats en double. Certains fax sont destinés à d'autres autorités de santé, et beaucoup manquent des informations cruciales nécessaires pour remonter les cas-contact. La plupart de ces télécopies à Austin sont envoyées à un ordinateur, mais elles doivent encore être imprimées et entrées manuellement dans des bases de données de santé publique.

 

En moyenne, son bureau obtient les résultats d'un test 11 jours après le test - bien trop tard pour que la recherche des contacts en vaille la peine. Il a conseillé aux personnes de la région présentant des symptômes viraux de se considérer comme qu'ils positifs, compte tenu des délais pour savoir ce qu’il en est.

 

 

 «Si nous recevons des résultats 14 jours après que l'individu est devenu symptomatique, cela ne sert plus a rien », déclare le Dr Escott.

 

À l'échelle nationale, environ 80% des résultats des tests de coronavirus ne contiennent pas d'informations sociodémographiques et la moitié n'ont pas d'adresse, selon l’épidémiologiste Janet Hamilton. « Lorsque les résultats arrivent avec des informations manquantes, nous devons essayer de remonter les éléments… Nous rappelons le fournisseur ou examinons d'autres sources de données. Mais cela prend du temps ».

 

L'administration Trump a publié des lignes directrices début juin qui obligent les laboratoires à signaler des éléments tels que l'âge, la race et l'origine ethnique des patients, afin que les responsables de la santé publique puissent mieux comprendre les paramètres sociaux et démographiques. Ces règles, qui n'entreront en vigueur qu'en août, stipulent que les laboratoires « devraient » également fournir les adresses et les numéros de téléphone des patients, mais ne l'exigent pas.

 

Ce type d'informations est souvent perdu, car les données de tests circulent du cabinet du médecin au laboratoire, du laboratoire à l'autorité de santé publique et reviennent au médecin d'origine, pas nécessairement dans cet ordre. À chaque étape, les défaillances technologiques peuvent ralentir ou perturber ce flux d'informations vitales. Les cabinets médicaux n'ont pas toujours de systèmes numériques capables de parler au laboratoire qui analyse le résultat. Les logiciels de laboratoire omettent souvent les informations dont les autorités de santé publique auront besoin ultérieurement. De plus, les transmissions par télécopie ou feuille de calcul peuvent obliger les travailleurs de santé à saisir manuellement les informations dans leurs systèmes informatiques, ce qui augmente le risque d’erreurs ou de doublons.

 

Les responsables de la santé publique déplorent l'omniprésence des télécopieurs, avec leurs impressions floues et leurs données analogiques.

 

Les grands laboratoires nationaux disposent généralement d'un logiciel qui leur permet de communiquer électroniquement avec un large éventail d'hôpitaux et de systèmes de santé publique. Mais les laboratoires plus petits n'investissent pas dans des progiciels coûteux alors qu’ils peuvent se contenter d’envoyer des données par fax.

 

Au début des années 2010, le gouvernement fédéral a dépensé des milliards pour encourager les médecins à remplacer les télécopieurs par des dossiers électroniques. Ce programme, connu sous le nom de loi HITECH, ne prévoyait pas de financement similaire pour les services de santé publique, pour les aider à numériser automatiquement les télécopies et autres résultats non standard. Il n'exigeait pas non plus que les hôpitaux et les cabinets médicaux déploient une technologie pour l’envoi automatique des résultats des tests pertinents aux autorités de santé locales.

 

Les services de santé publique, dont les budgets ont été réduits au cours de la dernière décennie, n'ont pas été en mesure de financer eux-mêmes les mises à niveau numériques.

  

Au milieu des années 2010, le CDC a utilisé 13 millions de dollars pour aider les services de santé des États et des villes à passer au numérique. Faute de financement dans la durée, les échanges de données entre les acteurs du système de santé publique ne sont que partiellement numérisés

 

Selon le Dr Frieden, l'ancien directeur du CDC. « il y a des centaines de laboratoires et des milliers de tests. Rien n'est interopérable parce qu'ils n'ont pas été mandatés pour le faire ».

 

Le Dr Frieden souligne que dans d'autres pays, comme la Grande-Bretagne et le Canada, les données des patients voyagent avec un identifiant unique propre à chaque personne. Les États-Unis ont essayé de mettre en place un système similaire au milieu des années 1990, mais il a tourné court après que le Congrès ait adopté une loi interdisant au gouvernement fédéral de créer les nouveaux identifiants.

 

Au lieu de cela, les données sont souvent transmises aux autorités de santé publique en utilisant uniquement les informations dont les laboratoires ont besoin pour suivre le dossier, et non les détails dont les responsables de la santé publique ont besoin pour comprendre la maladie.

 

New York Times: Bottleneck for U.S. Coronavirus Response: The Fax Machine

 


 

 

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