La construction accélérée d’un système d’information épidémiologique (Annales des Mines)


« Lors de la première vague, on avait des indicateurs assez rustiques »

Jean Castex le 26 août 2020).


L’émergence du SarsCov a pris de court le système de surveillance épidémiologique. En février, aucun des indicateurs scrutés quotidiennement aujourd'hui n'était encore calculé. Le Plan pandémie grippale de 2011, il est vrai, ne consacrait aux deux lignes aux moyens de surveillance épidémiologique.


La Mission Pittet chargée d’évaluer la gestion de la crise suggère que « la prise de conscience des risques de débordement des capacités hospitalières ne serait pas venue des canaux « normaux » de surveillance sanitaire, mais d’initiatives individuelles (à partir du 10 mars) de médecins cliniciens (en particulier en contact avec des collègues italiens), ainsi qu’appuyés par des travaux de modélisation, notamment ceux de l’Impérial College (Londres) et de quelques experts de l’AP-HP et de l’Institut Pasteur ». . 


Il a fallu, en quelques semaines, adapter des systèmes d’information déjà existants, les faire converger étendre la couverture de certains d’entre eux, mais aussi en créer de nouveaux, de toutes pièces, et en urgence.


Initialement centré sur les seuls cas graves et les morts, sur les hôpitaux et les urgences, le système de surveillance a été, au fil des mois, étendu à la population générale : aux millions de personnes testées et depuis janvier, aux personnes vaccinées.


Autant de systèmes d’information, d’applications, de questionnaires auto-administrés et d’enquêtes qui ont, progressivement, permis de rendre visibles:

Les capacités d’accueil et les tensions hospitalières

la mortalité

la circulation virale, sa cinétique et sa répartition géographique

la proportion de français qui avaient été touchés par le virus

Les clusters

le déploiement des campagne de tests, puis celle de la campagne vaccinale

l’émergence ou la propagation des variants



Février-Mars : un système épidémiologique bousculé


« La dynamique de l’épidémie a pris de vitesse tant les systèmes de surveillance sanitaire que les entités chargées de l’anticipation et du déploiement des contre-mesures. Le retard d’appréciation a été d’autant plus pénalisant que la croissance du nombre des hospitalisations s’est avérée de type exponentiel ».

 

Santé Publique France (SPF) a vite rencontré des difficultés pour centraliser les données « éparpillées dans le millefeuille du système de santé français ». SPF « ne disposait pas d’un outil de crise permettant une gestion, au niveau national, d’une pandémie ».


En février, aucun des indicateurs scrutés quotidiennement aujourd'hui n'était encore calculé. Leur suivi était réalisé par les ARS, sans méthodologie harmonisée. « Tout le monde était sous l'eau, ça a été une course permanente. Il y a eu du flou, des corrections, parce que les gens ont documenté comme ils pouvaient l'information ».


SPF publie le 3 mars 2020 un premier bilan quotidien : une infographie résumant les informations disponibles à cette date. Fin mars, SPF commence à produire un volume croissant de données pour le suivi de l'épidémie. « On a travaillé comme des forcenés » se souvient Yann Le Strat, directeur de DATA à SPF.


De février à avril, les données disponibles, outre leur qualité inégale, concernaient essentiellement les cas graves :


• nombre de patients hospitalisés et nombre de patients en réanimation ou en soins intensifs), via le système d’information pour le suivi des victimes (SI-VIC)

• données issues des tests (mais dans une période où l’on ne testait que les personnes hospitalisées ou les symptômes sévères)

• données de recours aux urgences et à SOS Médecins (via le système de surveillance SurSaUD et le réseau Oscour

• déclarations de décès (avec des délais peu adaptés à la gestion d’une crise sanitaire)

• capacités en respirateurs des hôpitaux, en lits disponibles et installés.


« Plus de 97 % des personnes infectées n’avaient alors pas mis le pied à l’hôpital. Pour autant, un seul indicateur hors hospitalier, issu des médecins de ville, était disponible à partir du 17 mars : le réseau Sentinelles, créé en 1984 pour surveiller les maladies virales ». Un réseau performant pour surveiller la grippe ou la varicelle, mais sous-dimensionné (800 médecins généralistes, 0,8 % des praticiens) pour détecter les signaux émergents.


Le suivi des décès était alors assuré par l’Insee (avec un décompte journalier de la mortalité par département en centralisant les certificats médicaux) et par l'Inserm, en charge de la statistique nationale des causes médicales de décès (mais qui ne pouvait produire de décompte en temps réel, vue la faible part des certificats de décès électroniques remplis par les médecins). SPF s’est tournée rapidement vers une troisième source de données, le SI-VIC, mais qui ne couvrait que les seuls décès hospitaliers.


En l’absence d’un système centralisé de remontée des résultats des tests, l’indicateur de la disponibilité des lits de réanimation va ainsi rester (jusqu’en mai) la principale boussole des autorités sanitaires


Une consolidation tardive des indicateurs de tension hospitalière


Les commissions d’enquête du Sénat et Assemblée ont consacré une partie de leurs travaux aux « circuits d’information » qui avaient permis de gérer l’afflux de nouveaux patients dans les semaines critiques de mars-avril, avec une double préoccupation : la remontée d’information vers les cellules nationales de crise et la circulation des données entre acteurs locaux (hôpitaux, ARS, SPF, Préfets et collectivités)


Les sénateurs dressent le constat « d’importantes lacunes qui ont fortement diminué la qualité du pilotage bottom-up par le ministère de la santé ». Se penchant de manière détaillée sur les systèmes d’informations mobilisés par les établissements de santé (répertoire opérationnel de ressources et SI-VIC, notamment), ils déplorent leur hétérogénéité à l’origine d’une « consolidation tardive des informations sur le capacitaire »  et « d’une incapacité notable à fournir des données de qualité en temps réel ».


Les difficultés rencontrées dans le traitement des alertes du local vers le national » trouvent leur source, selon les sénateurs, dans la faiblesse des effectifs des 17 antennes régionales de Santé Publique France, les CIRE, « totalement sous-dimensionnées pour faire face à des situations sanitaires exceptionnelles ». Des difficultés aggravées par un déficit de « coordination entre les circuits d’informations traitées par les CIRe et par les ARS ». Si des cellules régionales d’appui et de pilotage sanitaire (Craps), furent activées, ce dispositif « ne garantit pas, faute d’harmonisation des circuits de remontées d’informations épidémiologiques entre les CIRe et les ARS, une veille sanitaire suffisamment fine au niveau territorial ». Les sénateurs plaident, en conclusion, pour une « unicité de commandement sanitaire en région ».


L’imparfait décompte des victimes du Covid


La France fait partie des rares pays où le nombre de morts officiels liés au Covid est supérieur à l'excès de mortalité sur la période. Ce qui laisse penser que le décompte français a été plus complet que dans d'autres pays.


Au début de l'épidémie, des voix se sont entendre pour s'inquiéter du non-décompte des morts dans les Ehpad, et, au-delà, d'une sous-estimation du nombre de morts liées au Covid-19, seules celles survenues à l'hôpital étaient alors recensées ».


Le système statistique des décès, avec ses deux piliers, l’Insee (qui enregistre les décès mais ignore leurs causes) et l’Inserm (qui centralise les causes de décès, mais avec un délai très long, seuls 20 % des certificats de décès lui parvenant en mode numérique) était incapable d’assurer le suivi en temps réel de la mortalité liée au Covid. D’où le recours au Si-Vic (dont ce n’était pas la vocation) devenu la principale source du décompte journalier, communiqué chaque jour par les autorités de santé. Le décompte du Si-Vic reste incomplet, puisque seuls les décès survenus à l’hôpital sont décomptés, et non ceux survenus à domicile ou en maison de retraite.


La mise en place accélérée par SPF d’un système de signalement, Vozanoo, à partir du 2 avril, a permis d’inclure les Ehpad dans le décompte des décès quotidien, mais avec des informations moins détaillées que celles des personnes décédées. 


Depuis le 27 mars 2020, l’Insee (destinataire des bulletins de décès qu’elle reçoit pour 90 % d’entre eux par voie électronique) publie régulièrement un décompte qui retrace l'évolution de la mortalité « toutes causes confondues » et « rend visible » l'excès de mortalité. Mais sans permettre d’estimer avec précision les morts dues au Covid.


Cette inadaptation du système statistique à suivre en temps réel une épidémie a conduit les sénateurs à recommander « une modernisation en profondeur du système de déclaration des cas et des décès ». La numérisation de la chaîne de transmission des bulletins de décès état-civil des mairies-ARS-Inserm pourrait épagner à l’Inserm d’avoir à coder chaque année plusieurs centaines de milliers de certificats de décès (ce qui lui prend deux à trois ans).


Reste un problème plus fondamental qui résulte de la partition du système statistique des décès en deux filières, l’une administrative, autour de l’Insee (qui reçoit et centralise le volet administratif du bulletin de décès) et l’autre sanitaire, avec l’Inserm (qui reçoit et centralise le volet médical du bulletin de décès). On sait grâce à l’Insee qui meurt (Age, sexe etc..) et par l’Inserm de quoi on meurt (les causes de décès) : sans appariement de ces deux systèmes, on ignore « qui meurt de quoi ».


L’ouverture données a favorisé une effervescence d’initiatives


« Nous ne savons pas nous servir d'un stéthoscope, mais nous pouvons peut-être aider ceux qui savent en leur apportant de la data facilement exploitable et de la dataviz »

Lior Perez, ingénieur chez Météo France.


Les autorités de santé s’étaient assez largement tenues à l’écart du mouvement d’ouverture des données publiques.


Début mars 2020, les seules données disponibles sur l’épidémie étaient éparpillées dans les communiqués de presse des ARS et de Santé Publique France. Éclatées et fragmentaires, ces données ne permettaient pas de tracer des courbes et de suivre l’évolution de l’épidémie. La publication de données n’était pas non plus une priorité pour la Direction Générale de la Santé (DGS), concentrée sur la gestion de crise.


C'est un groupe de citoyens qui va s'en charger. En quelques jours, un collectif (l’initiative « OpenCOVID19 ») puis une communauté de 200 datascientists s’organisent pour extraire manuellement les données issues de 20 ARS et de 100 préfectures et les intégrer dans un tableur. Une charge très lourde : tout est à refaire chaque jour. Le tableau de bord veille-coronavirus.fr ( prend forme et propose une première vision consolidée des données officielles. La mise en œuvre de cet outil contributif reçoit rapidement l’appui de développeurs d’Etalab, puis le soutien du ministère de la santé. Consécration : le 28 mars, Édouard Philippe et Olivier Véran, en conférence de presse, s’appuient sur les infographies de veille-coronavirus.fr.


En avril 2020, 177 jeux de données relatifs au Covid-19 étaient en ligne sur data.gouv.fr. 

Depuis le 18 mars, Santé Publique France publie chaque jour des jeux de données actualisées sur et sur la plateforme de données publiques data.gouv.fr. et sur Geodes, l’observatoire cartographique de Santé publique France. 


Cette ouverture des données a nourri les travaux des chercheurs et ouvert la voie à une myriade de visualisations dans la presse. Les datavisualisations de Gouvernement.fr et des tableaux de bord comme tableaux de bord (comme Covidtracker, Coronaboard.fr, Covinfo.fr ou Vaccinator.fr) s’appuient sur les données de Geodes. CovidTracker, suivi par 40 000 abonnés sur Twitter, totalise à lui seul 15 millions de pages vues par mois.


Début mars 2021, SPF proposait sur son site Geodes 123 indicateurs, à toutes les échelles (nationale, régionale, départementale, territoriale).


Un double cahier des charges épidémiologique pour la sortie du confinement


Dans le Plan de préparation de la sortie du confinement (dont il était alors le coordinateur), Jean Castex dresse, le 27 avril, la liste des indicateurs qu’il juge nécessaires « pour adapter les mesures de maîtrise de la transmission à la sortie du confinement ».


Le Conseil scientifique, pour sa part, avait recensé, le 20 avril 2020, les critères épidémiologiques « pour que la levée du confinement puisse se faire dans de bonnes conditions ». Il dessinait, à cette occasion, les grandes lignes d’un (nouveau) système de surveillance épidémiologique « capable de détecter les nouveaux cas et une reprise de l’épidémie », et notamment « d’identifier les lieux à risque de transmission voire d’épidémie ».


Entre avril et mai, la délégation au numérique en santé (DNS) et SPF vont s’atteler à la mise en œuvre de ce double cahier des charges.


La campagne de tests et le SI-DEP rend enfin visible la circulation du virus



Jusqu’au 13 mai, les pouvoirs publics n’avaient qu’une vision partielle du nombre de tests réalisés en France, une partie de ceux réalisés en ville, notamment, n’étant pas centralisés.


Tout change avec l’apparition du Système d’Information de DEPistage (SI-DEP), le 13 mai 2020. En centralisant la quasi-totalité tests réalisés dans les labos privés et hospitaliers, SI-DEP permet de suivre les opérations de dépistage. SI-DEP a été développé en un mois et demi. « En temps normal, cela nous aurait pris plusieurs années » reconnaît Yann Le Strat.


Outil central de la stratégie tester-tracer-isoler, le suivi exhaustif de l’ensemble des patients testés permet de construire toute une série d’indicateurs quotidiens, comme les taux de positivité, de dépistage et d’incidence de la maladie.


Rendre visible la prévalence du virus


Le professeur William Dab s’étonnait, le 11 avril 2020, que « ce soient des épidémiologistes britanniques qui aient estimé la proportion de Français infectés ? Comment lutter contre une épidémie sans connaître son étendue ? Des enquêtes par sondages hebdomadaires par téléphone ou Internet permettraient de suivre son évolution. C’est facile à réaliser. Ce n’est pas complètement fiable, mais c’est mieux d’être dans le brouillard que dans le noir absolu. En attendant que des tests sérologiques soient déployés à grande échelle, même avec des imperfections, ce type d’enquête par sondage répétés nous donnerait une tendance sur l’évolution de la prévalence de l’infection ».


Le professeur Dab pointe ici deux enjeux distincts pour le pilotage de la crise : connaître la proportion de la population qui a déjà été infectée (et développé des anticorps, décelables par les tests sérologiques) et connaître la proportion de la population infectée, (porteuse du virus et donc détectable par les tests de dépistage), a un moment donné ou sur une période donnée (la prévalence).


Connaitre la séroprévalence (proportion de la population qui a déjà été infectée, même si certains individus n’ont jamais présenté de symptômes) permet de mieux calculer le taux de mortalité ou le taux de reproduction, de déterminer le chemin qui reste à parcourir avant que la population ait acquis une immunité (au moins partielle et de court terme). A cette fin, deux enquêtes sérologiques nationales ont été conduites en France : EpiCOV  (avec 12 400 personnes testées) et Sapris (16 000). Face à la difficulté de conduire des enquêtes sérologiques régulières, à grande échelle et représentatives, une équipe française d’épidémiologistes a développé une méthode d’analyse qui croise les résultats de 22 enquêtes épidémiologiques, les données françaises d’hospitalisation et de séroprévalence. C’est cette méthode qui a permis à l’Institut Pasteur d’établir, en février 2021, qu’environ 17 % de la population métropolitaine âgée de plus de 20 ans avait été infectée par le coronavirus depuis un an.


L’autre enjeu, c’est de connaître la proportion de la population infectée, à un moment donné et dans le temps. On dispose, certes, désormais, de toute une série d’indicateurs , pour analyser la dynamique de la circulation virale, au sein du territoire national comme à une plus petite échelle, mais ils restent difficiles à analyser car le nombre de tests reste soumis à des fluctuations. On peut aussi déduire le taux de prévalence de toute une série de calculs. La meilleure manière de le cerner reste encore, de conduire régulièrement des enquêtes auprès d’un échantillon de la population. C’est ce que fait, au Royaume-Uni, le programme React de l’Imperial College. Tous les mois, environ 150 000 britanniques réalisent un auto-prélèvement. Selon ces enquêtes (1,5 million de tests analysés en 9 vagues), le taux de prévalence chute régulièrement. Seule 0,2 % de la population anglaise serait en mars 2021 porteuse du virus, contre 6 % du début de l’été 2020. Les enquêtes React ont, en outre, permis d’apporter une réponse à la question qui taraude les scientifiques depuis le début de la pandémie : combien de temps l’organisme reste-t-il immunisé ?


Rendre visibles les clusters et circonstances de contamination


Au début de l’épidémie, les équipes d’investigateurs de SPF et des ARS, très réactives, sont parvenues à circonscrire les premiers foyers, comme aux Contamines-Montjoie, ou encore dans l’Oise. Elles parviennent, encore, dans un premier temps, à repérer les cas qui se multiplient et remontent les données récoltées via l’application Godata de l’OMS. Le passage en phase 3 signe l’arrêt des opérations de suivi des contacts dans la plupart des régions. Conformément au Plan Pandémie Grippale de 2011 qui n’envisage l’investigation des cas-contacts suspects que lors des phase 1 (freiner l’introduction du virus) et 2 (freiner sa propagation).


Cette interruption du suivi des contacts suspects et des foyers ne va pas de soi, car l’identification des clusters vise un double objectif : contenir l’épidémie, en premier lieu (ce qui devient impossible, à la mi-mars, faute de moyens humains suffisants, quand le virus circule largement) mais aussi comprendre comment le virus se propage et chemine au sein de la population : le type de lieux propices, le type d’évènements déclencheurs. 


D’autres clusters auraient-ils pu être circonscrits fin février-début mars ? Selon la Commission d’enquête du Senat , « il semble qu’à la fin du mois de février la gestion de crise centralisée ait été insuffisamment attentive aux alertes émises du terrain ». Elle ajoute que « l’efficacité des opérations de traçage a été fortement compromise par une absence de communication entre les organismes chargés de la recherche des contacts et de la détection des clusters d’une part, et ceux habilités à prendre les mesures pour les limiter d’autre part ».


Les opérations de traçage des contacts reprendront, à grande échelle, en mai 2020, à la sortie du confinement. Le dispositif mis en place par l’Assurance-Maladie, s’il a permis d’identifier des « cas groupés » n’a, en revanche, pas été conçu pour retracer et remonter les chaines de contamination. « Les agents de l’Assurance-maladie, lors de leur enquête, ont bien eu connaissance des circonstances dans lesquelles le « patient zéro » a potentiellement contaminé ses contacts. En allant chercher l’information dans SI-DEP, il serait aussi possible de savoir lesquels de ces contacts ont été infectés. Mais, aucun croisement n’est fait  ».


Quand les agents de l’Assurance-maladie identifient, grâce au SI-DEP, des « cas groupés », ils passent le relais à SPF et aux ARS (le « niveau 3 ») pour des campagnes de dépistage ciblées dans des lieux identifiés comme à risque ou pour détecter d’éventuels clusters dormants. SPF déploie, à cette fin, à partir du 11 mai un nouvel outil, Monic (MONItorage des Clusters) pour identifier les nouveaux clusters en temps réel et suivre ceux en cours d'investigation. Monic a permis, de fin mai jusqu'à mi-novembre, à SPF de publier dans ses points épidémiologiques hebdomadaires des chiffres sur les « clusters » par type de lieux (Ehpad, établissements pénitentiaires, entreprises, écoles...). Ces données étaient alors qualifiées par SPF de « pertinentes pour identifier les collectivités pour lesquelles la proportion de clusters à criticité élevée est la plus importante, contribuant à prioriser les mesures de prévention et de contrôle ». Un thermomètre qui reste lacunaire. En novembre, SPF a cessé de publier des données détaillées sur les foyers de contagion, faisant valoir que leur nombre était « très fortement sous-estimé  ». Les contaminations identifiées grâce à la détection de ces foyers de contagion ne représentaient alors qu'une très faible part de l'ensemble des personnes déclarées positives sur le territoire.


Rendre visible la campagne vaccinale


Afin d’assurer la traçabilité des vaccins et des étapes de la vaccination, de la consultation pré-vaccinale aux injections du vaccin, l’Assurance maladie a ouvert, le 4 janvier, un téléservice baptisé « Vaccin Covid ». Ce téléservice permet de connaître le nombre quotidien de personnes ayant reçu une ou deux doses de vaccin, par date d’injection, par tranche d'âge et par sexe : des données mobilisées pour modéliser l'évolution de l'épidémie. 


Très scrutées, les données quotidiennes permettent, en particulier, d'évaluer le rythme moyen des injections tandis que les données cumulées permettent de savoir quelle part de la population est protégée par ce biais, notamment parmi les plus âgés. Les données départementales et régionales permettent de repérer d’éventuelles disparités selon les territoires.


La surveillance des variants


L’apparition de nouveaux variants est venue percuter en décembre la gestion de la crise. Depuis fin janvier 2021, le fichier de suivi SI-DEP intègre les résultats des tests RT-PCR « de criblage ». Ces tests détectent les principales mutations caractérisant les variants dits « d'intérêt » connus et la part qu'ils représentent parmi tous les tests positifs réalisés. Tous les tests positifs ne sont pas encore criblés et des disparités existent entre les territoires. « Ces tests ne permettent de suivre que les variants considérés comme « d'intérêt » par les autorités sanitaires françaises, au travers des enquêtes Flash ».


La quête de nouvelles sources de données


Deux cas emblématiques illustrent l’intérêt de faire appel à d’autres sources de données pour alimenter et améliorer les modèles épidémiologiques : les données de mobilité telles que mesurées par les opérateurs télécom et l’analyse des eaux usées.


La collaboration nouée des mars 2020 entre l’Inserm et Orange pour exploiter les données anonymisées issues de l’activité des abonnés mobiles a permis d’établir qu’un million de personnes avaient quitté la région parisienne entre le 13 et le 20 mars 2020.. Une fois connus, ces déplacements rendaient caduques les données usuelles des modèles épidémiologiques. Le partenariat entre l’Inserm et Orange n’est pas isolé. En Allemagne, Deutsche Telekom a transmis les données anonymisées de géolocalisation de ses 46 millions de clients à l’Institut Robert Koch.


Dès avril 2020, plusieurs laboratoires ont lancé le réseau de surveillance Obépine pour suivre la dynamique du virus sur le territoire grâce à l’analyse d’échantillons d’eaux usées provenant de plus de 150 stations d’épuration (parmi les 20 000 françaises), afin d'en tirer des prévisions sur sa circulation. Le 25 janvier 2021, le réseau Obepine a, pour la première fois, mis en ligne les résultats des derniers prélèvements dans une trentaine de stations d'épuration.


Un rendez-vous manqué avec l’épidémiologie collaborative


Au Royaume-Uni, le projet Covid Symptom Study proposait au public, via une application, de rendre compte, jour par jour, de leurs symptômes, ou de répondre régulièrement a des questionnaires ciblés sur divers sujets. il comptait 4 millions de contributeurs en mai 2020.


C’est probablement à ce type de choses que pensait le Conseil Scientifique quand il appelait, le 20 octobre, au lancement de « programmes de science participative pour mieux comprendre les modalités de transmission .». 


SPF s’appuie, certes, sur la plateforme Grippe.net, rebaptisée le 30 mars CovidNet, pour recueillir des données auprès du public et suivre en temps réel l'évolution de l'épidémie. Bénéficiant d’une visibilité, CovidNet ne compte que 9335 participants. L’AP-HP, pour sa part, a fait appel à une communauté de patients pour la recherche (dans le cadre du programme ComPaRe) pour évaluer la perception du risque d’une infection sévère ou pour identifier les symptômes du « Covid long » et leur impact sur la vie des patient.


Mentionnons, ici, cette étude participative, lancée en avril 2020, dans le Haut-Rhin pour comprendre quand et comment de ce département s’était transformé en foyer épidémique. Ils avaient appelé les Haut-Rhinois à répondre à une centaine de questions. Leur étude a confirmé l’hypothèse que le virus circulait dès fin janvier 2020 dans le département.


On a peut-être sous-estimé, en France, l’intérêt d’associer et de faire participer le public à la production de connaissances épidémiologiques, pour la compréhension des symptômes ou celles des mécanismes de circulation.


Le projet SourceCovid.fr, initié par l’équipe à l’origine de MaladieCoronavirus.fr, s’inscrit pleinement dans la démarche participative, préconisée par le Conseil Scientifique. Afin de mieux identifier les sources de propagation du virus (magasins, restaurants, lieux de travail, cercles familiaux et personnels…), cette web application propose, depuis le 14 décembre, aux personnes ayant été touchées par le virus ou à leurs proches « de prendre 2 minutes de leur temps pour aider à la compréhension de la 2e vague de la Covid-19 ».



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« Aujourd'hui, on a quelque chose de quasi exhaustif. Personne en France n'aurait pensé qu'on puisse créer un système national comme celui-là en si peu de temps »

Yann Le Strat, en septembre dernier.


Entre mai et juin, brique par brique, un véritable système de surveillance épidémiologique a finalement été mis sur pied.


Ce système de surveillance génère chaque jour des flots de données. SPF reçoit et traite chaque jour 400 Méga octets, qui alimentent les modèles et actualisent les 123 indicateurs. Début mars 2021, Geodes proposait 123 indicateurs, à toutes les échelles (nationale, régionale, départementale, territoriale).


Même si des zones d’ombre subsistent, même si des bugs surviennent fréquemment (nombre de cas surestimé, écarts entre les chiffres publiés par SPF et par la DGS, doublons liés aux erreurs d’enregistrement… vite détectés par les réutilisateurs des données en open data), ces données et ces indicateurs permettent désormais, tant bien que mal, aux responsables nationaux et locaux de prendre des décisions informées. Ils ont permis de répondre à la demande du public, de la communauté scientifique, des médias, et des professionnels de santé. Et de nourrir le débat public, avec son lot de controverses sur la fiabilité des données et la pertinence des indicateurs.


Maurice Ronai


Références


• Santé Publique France : surveillance épidémiologique du Covid-19. dossier pédagogique, Avril 2020

• Santé Publique France : surveillance épidémiologique de la Covid-19 : un dispositif au plus près des territoires, Juin 2020

• INSEE, Santé Publique France, Ministère des solidarités et de la Santé : Le suivi de l’épidémie de Covid-19, Livret de présentation. Mars 2020

• Linc-CNIL : Coronoptiques : dispositifs de surveillance et gestion de l'épidémie, 2020

• CheckNews, Libération

• Les décodeurs, Le Monde


Article publié dans Annales des Mines: Réponses numériques à la crise sanitaire


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