La numérisation à marche forcée du système de santé face à la Covid-19 (Annales des Mines)







« Les différentes administrations envoyaient nombre de fichiers Excel sur la distribution des moyens de protection, l’état des stocks, les besoins, les activités, les lits de réanimation, etc. Les fichiers se multipliaient dans tous les sens, alors qu’il aurait été facile d’utiliser des outils numériques intégrés, simples à mettre en place, pour peu que l’on veuille bien homogénéiser les standards de communication », Marc Noizet, chef du pôle urgences et du Samu à l’hôpital Muller de Mulhouse.







La pandémie de Covid-19 est la première crise sanitaire gérée numériquement. De bout en bout. Enfin presque. Et souvent, dans la douleur. 


Il a fallu, ainsi, en quelques semaines, adapter des systèmes de surveillance déjà existants, mais aussi en créer de nouveaux de toutes pièces, et en urgence.


Pour désengorger le 15, le SAMU et les hôpitaux, pour gérer les ressources (lits, médicaments, renforts, tests …), pour partager (localement, régionalement) ou remonter nationalement les données, les hôpitaux, les services d’urgence, les agences, les médecins de ville ont basculé, à marche forcée, dans le numérique. Et, à leur suite, les patients. 


Les controverses sur les pénuries (masques, tests, vaccins) ou sur les « retards à l’allumage » ont largement éclipsé l’examen des réussites et des défaillances des outils numériques de santé au cours de l’année 2020. 


Le numérique de santé n’a, pour autant, pas été complètement à l’abri des polémiques. Deux « objets numériques » ont cristallisé de vives controverses : StopCovid-TousAntiCovid (qui fait l’objet d’un article distinct) et le recours de la plateforme Health Data Hub aux solutions de cloud d’un prestataire nord-américain. Ces deux arbres,StopCovid et Health Data Hub, ont caché la forêt de systèmes d’information, de plateformes et d’applications qui, tant bien que mal, ont permis de faire face à l’épidémie.


Pour tenter de restituer ce qu’a été (et ce qu’est encore) la contribution du numérique à la gestion de la crise sanitaire, le plus simple est encore de passer en revue, successivement, ses divers « compartiments ». Ce parti pris ne permet de restituer que très imparfaitement l’intensité et la complexité des interactions numériques qui se nouent entre acteurs et leurs systèmes d’information. 

Un numérique de crise pour la gestion des urgences

La gestion des urgences a reposé sur des systèmes d’information qui n’étaient, en février 2020, que partiellement déployés, non ou partiellement interconnectés :


• SI-Samu : ce programme initié en 2014, vise à fournir un système d'information centralisé à l'ensemble des centres de Samu de France ;

• SI-VIC (système d'information pour le suivi des victimes d’attentats et de situations sanitaires exceptionnelles) : il a été mis en œuvre à la suite des attentats du 13 novembre 2015 ;

• Le « Répertoire opérationnel des ressources » (ROR) : il recense le nombre de lits disponibles dans les hôpitaux ;

• SurSaUD : le système de surveillance sanitaire dit syndromique, mis en place par Santé publique France, basé sur la collecte de données non spécifiques ;

• Le réseau OSCOUR : Organisation de la surveillance coordonnée des urgences.


L’outillage numérique de la gestion des capacités (et de leurs limites) dans les hôpitaux


Le recensement et la gestion des lits pour accueillir les patients furent, au cours de la crise, un enjeu crucial, qui nécessitait de la part des ARS un suivi quotidien, voire biquotidien. 


Créé il y a douze ans, le « Répertoire opérationnel des ressources » (ROR) était jusqu'alors peu utilisé du fait de l’existence d’une multitude de réseaux locaux. Pour gérer en temps réel son stock de lits disponibles dans les quelques 250 établissements franciliens, l’Agence régionale de santé (ARS) a très tôt étendu, avec le GCS francilien, le module disponibilité en lits du ROR pour l’étendre aux soins critiques de la Covid-19. « Nous avons réussi la prouesse de mettre en place les paramétrages du ROR et à créer des comptes pour les établissements de santé une semaine avant le pic », explique le directeur du projet ROR. Les gestionnaires de lits appelaient tous les établissements trois fois par jour pour demander les ressources vacantes et cartographier en temps réel la situation. Ces remontées du terrain étaient ensuite centralisées dans un tableur et les documents étaient ensuite transmis aux établissements plusieurs fois par jour. « Avant la crise sanitaire, il y avait près de 200 mises à jour quotidiennes des disponibilités en lits. Au 31 mars 2020, au moment du pic de l’épidémie, on en comptait plus de 1 300. En parallèle, les cellules d’orientation qui recherchent les places disponibles ont multiplié leur consultation du ROR par 50 ».


« Le recours au ROR n’a pas permis la collecte d’une information en temps réel des capacités disponibles », déplorent les sénateurs. « Autrement dit, l’élan capacitaire engagé à partir du 12 mars ne s’est pas accompagné des outils nécessaires à son suivi sur le terrain ». 


Des solutions issues du terrain ont aussi vu le jour, dans les régions, pour recenser le nombre de lits en temps réel, comme InnoMed360 à Strasbourg, Covid moi un lit à Besançon ou encore Icubam à Nancy, toutes conçues par des médecins, avec le concours de développeurs chercheurs ou bénévoles.


Suivi des stocks de médicaments


Aux problématiques de gestion des lits s’est ajoutée, très vite, celle des stocks et des approvisionnements de médicaments dans les services de réanimation. Pour faire face aux tensions extrêmement fortes autour de certaines molécules, l’outil de suivi MaPUI.fr a été déployé dans toutes les régions entre le 2 et le 8 avril 2020. Cette application de suivi des Pharmacies à usage intérieur (PUI) permettait aux pharmacies des hôpitaux d’effectuer des exports de leurs données à partir de leurs logiciels. Au 20 mai 2020, près de 700 PUI alimentaient quotidiennement la plateforme (plus de 2 200 fin juin). 


Une nouvelle plateforme a depuis été mise en place, e-Dispostock, qui permet un suivi national et régional, par les ARS et les observatoires du médicament, des dispositifs médicaux et de l’innovation thérapeutique.

Des plateformes régionales émergent pour gérer les renforts de soignants

L’épidémie de grippe H5N1 avait conduit à la création, en 2007, d’un corps de Réserve sanitaire pour venir en soutien des professionnels de santé en cas de crise. Près de 19 000 personnes avaient fait acte de candidature pour rejoindre la Réserve. 630 réservistes seulement seront déployés au début de la crise. Plus de 1 000 réservistes ont cependant été mobilisés entre janvier et mi-avril. Plus de 8 000 jours par réserviste et plus de 35 missions en France métropolitaine et en Outre-Mer. En cause : le sous-dimensionnement du serveur informatique de la réserve, le caractère réduit de son équipe permanente (8 personnes) et la lourdeur du processus de déploiement. La Réserve « s’est finalement avérée insuffisamment opérationnelle pour répondre aux besoins croissants en personnels et aux tensions très fortes sur certains métiers et a dû être suppléée par des dispositifs alternatifs montés directement par les ARS ». 


Face au besoin urgent de renforts, un certain nombre d’établissements s’étaient tournés vers la plateforme de la start-up Whoog qui permet depuis 2015 aux établissements de santé de proposer des missions temporaires à des soignants. Le 21 mars 2020, l’ARS d’Île-de-France et la start-up MedGo mettaient en place un dispositif alternatif, Renforts-Covid.fr, très vite adopté par sept régions, puis onze, pour mettre en contact directement volontaires et établissements de santé. Renforts-Covid a pris fin le 10 juillet 2020 : elle aura recensé 60 000 volontaires et plus de 6 000 établissements avaient puisé dans ce vivier de professionnels éventuellement disponibles dans leur région. Lors de la seconde vague, en octobre, la plateforme Renfort RH crise, lancée par le ministère des Solidarités et de la Santé, a pris le relais de Renforts-Covid.

Des plateformes d’orientation pour désengorger les urgences et la médecine de ville

En amont du 15 et de la téléconsultation, des initiatives ont vu le jour, au printemps, dans l’urgence, pour désengorger le Samu et les hôpitaux.


L’Alliance digitale contre le Covid-19 a mis en ligne, le 18 mars 2020, Maladie-Coronavirus.fr, un site qui permettait de réaliser gratuitement une évaluation des symptômes avant d’orienter les personnes vers leur médecin, le Samu, ou une auto-surveillance, en fonction des symptômes et des facteurs de risque. L’évaluation reposait sur un algorithme développé par des médecins et des chercheurs de l’Institut Pasteur, de l’AP-HP et de trois CHU. Le site recevait jusqu’à 15 000 connexions par seconde durant la deuxième quinzaine de mars 2020. Quelque 13 millions de Français ont ainsi répondu au questionnaire en ligne (des informations, par ailleurs, utiles pour la gestion de l’épidémie). Son utilisation a permis de diviser par huit les appels non pertinents au numéro d’urgence du 15.


Mi-mars 2020, Synapse Medicine lançait le site Covid19-medicaments.com pour permettre aux patients d’obtenir une réponse sur les risques relatifs à l’automédication en cas de symptômes de la Covid-19. 


Le 11 mai 2020, le ministère chargé de la Santé ouvrait au public mesconseilscovid.fr pour dispenser conseils et orientations, en utilisant le même algorithme que maladie-coronavirus.fr. Le même jour, sante.fr recensait plus de 3 000 lieux de prélèvement des tests de dépistage, consultables via une carte géolocalisée.


La téléconsultation se fraye rapidement une voie dans les pratiques de santé


La crise sanitaire a donné un puissant coup d’accélérateur à la téléconsultation qui, bien que faisant partie du droit commun des pratiques médicales, restait assez marginale.


À l’occasion du confinement, grâce à un assouplissement du cadre réglementaire, début mars 2020, la téléconsultation a très rapidement été adoptée par les professionnels et par un très grand nombre de patients. Outre les plateformes traditionnelles de télémédecine déjà existantes, les consultations pouvaient se faire par le biais de n’importe quel dispositif, que ce soit Skype ou WhatsApp.


De 40 000 actes de téléconsultation en février 2020, le chiffre bondit à 4,5 millions d’actes remboursés en avril 2020, en plein confinement, pour se stabiliser durant l’été à un million d'actes par mois. Pendant le confinement, la téléconsultation représentait une consultation sur quatre. En septembre, la téléconsultation ne représentait cependant plus que 3 % des consultations. Les trois quarts des médecins généralistes ont mis en place la téléconsultation, alors que moins de 5 % la pratiquaient auparavant. Un peu moins de la moitié a souvent ou systématiquement rencontré des problèmes techniques. La facturation des honoraires n’a en revanche pas été une « difficulté majeure » pour les médecins. Un décret, le 12 mars, a prolongé une série de mesures dérogatoires pour la médecine de ville, dont la possibilité d'effectuer des téléconsultations par téléphone, jusqu’au 1er juin.


Des applications pour le suivi des patients à domicile


L’urgence commandait, début mars 2020, la mise au point de solutions pour suivre à distance des patients porteurs ou suspectés de Covid-19 mais ne nécessitant pas d’hospitalisation. On partait, en matière de télésuivi médical, pratiquement de zéro.


L'Assistance publique hôpitaux de Paris (AP-HP) et son partenaire technologique Nouveal ont ouvert le 8 mars 2020 l’application Covidom. Une fois inclus par le médecin dans Covidom, le patient s’engage à remplir chaque jour un questionnaire de suivi médical à partir duquel des alertes peuvent être émises automatiquement. Un centre de télésurveillance médicale (mis en place le 12 mars 2020) suivait les alertes. En cas d’urgence immédiate, il était demandé au patient de se mettre en relation avec le 15. Covidom a connu des pics de charge allant jusqu'à 35 000 questionnaires remplis et 9 000 alertes par jour. 


Des applications de suivi à domicile du même type ont vu le jour en divers points du territoire : « De l’ensemble de ces initiatives, trop peu nombreuses mais globalement porteuses de résultats probants et décisifs dans la prévention de l’engorgement des structures hospitalières », les sénateurs observent « avec perplexité qu’elles ont été lancées en ordre dispersé, laissées à la pleine appréciation des ARS sans qu’aucune ligne directrice ne leur soit fournie à cet égard par les autorités ministérielles. Elles n’ont globalement pu empêcher l’essentiel du flux des patients de se diriger vers les structures hospitalières ». 


En septembre, Covidom avait été adopté par 216 établissements de santé et près de 22 000 professionnels. 800 000 personnes ont été suivies au travers de la plateforme depuis son lancement en mars 2020 et plus de 350 000 alertes ont été traitées.


Un outillage numérique pour le pilotage de la campagne de tests 


Le ministère des Solidarités et de la Santé a mis en place, le 16 avril 2020, une plateforme nationale, laboratoires.fabrique.social.gouv.fr, pour fluidifier les remontées d’informations et documenter les tensions sur les approvisionnements. Jusqu’alors, seuls les résultats transmis par le réseau 3 Labo et les laboratoires hospitaliers étaient centralisés. 


C’est en avril 2020 qu’est décidée la mise en route du SI-DEP (Système d'informations de dépistage) pour collecter dans un système unique les résultats des tests pratiqués par les 5 000 laboratoires autorisés. Avec l'AP-HP comme maître d’œuvre et la Délégation numérique en santé (DNS), comme maître d’ouvrage, le SI-DEP a été développé en trois semaines et était opérationnel le 13 mai 2020. 



Un outillage numérique pour le traçage des contacts 



Santé publique France et les ARS ont très vite été débordées quand l’épidémie a commencé à flamber. Le suivi des contacts était réalisé, en février-mars, de façon très hétérogène sur le territoire. « On travaille avec des outils archaïques, on a beaucoup bricolé à base d’Excel et de copier-coller, on a perdu des journées et des soirées à refaire nos tableaux à la main », confie un agent d’une ARS. Les données récoltées étaient alors remontées via l’application Godata de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).


Le 20 avril, le Conseil scientifique identifie, parmi les six prérequis pour préparer la sortie de confinement, « les capacités d’identification rapide des cas et de leurs contacts ». Pour ce prérequis, le Conseil scientifique préconise :


• un système s’appuyant sur la médecine de ville, des plateformes numériques et des équipes mobiles pour identifier les cas suspects et les orienter vers des structures de test ;

• des plateformes téléphoniques complétées par des équipes mobiles pour la prise en charge des cas diagnostiqués et de leurs contacts ;

• des équipes mobiles et des outils numériques pour un traçage efficace des contacts. 


Le dispositif retenu par le gouvernement reprend, dans ses grandes lignes, les recommandations du Conseil, mais s’en éloigne cependant, en écartant la piste des équipes mobiles (malgré la démonstration que Covisan avait fait, en Île-de-France, de leur efficacité). 


Le dispositif retenu repose sur trois niveaux : 


• les médecins généralistes ont pour mission d’identifier les contaminations possibles dans le cercle familial ;

• des plateformes téléphoniques « armées » par l’Assurance-maladie se chargent de prévenir les autres contacts ;

• un troisième niveau est assuré par les ARS pour la gestion des chaînes de contamination complexes pouvant déboucher sur des clusters.


L’Assurance-maladie se voit confier l’animation du dispositif et met sur pied, en trois semaines, l’application ContactCovid qui permet de recenser en temps réel et automatique (sans double saisie pour les laboratoires) tous les tests RT-PCR de France afin de suivre l’épidémie et déclencher le contact tracing, en permettant aux agents de la CNAM et aux médecins de créer une fiche de suivi pour chacun des patients testés positifs et aux plateformes téléphoniques de la CNAM d’appeler les personnes à risque pour évaluer leur degré d’exposition. ContactCovid permet au médecin ou à l’agent de la CNAM de recueillir auprès des personnes positives l’identité des cas contacts et des informations relatives au risque d’exposition, comme la fréquence et la durée des contacts).


Fin août, Santé publique France dénombrait 2,3 cas contacts par cas positif contre 4,5 à la mi-juillet. Deux semaines plus tard, alors que la baisse se confirmait, l’agence mettait en garde contre les potentielles conséquences de cette baisse : « la diminution du nombre moyen de personnes contacts par cas fait craindre qu’une part des personnes contacts n’est plus identifiée, ce qui est problématique pour l’efficacité et l’impact du contact tracing sur la transmission du virus ». 


Le traçage des cas-contacts de personnes contaminées par les équipes de la CNAM sera, dès septembre 2020, mis en difficulté par l’augmentation des nouvelles contaminations détectées, et ce malgré un renfort de 2 000 agents au sein des CPAM et des ARS (soit 10 000 au total). Si les plateformes d’appel de la CNAM parviennent à joindre 90 % des personnes-contacts. Le nombre moyen de personnes-contacts par cas reste faible, autour de 3. Sante publique France reconnaissait mi-septembre « l’existence de nombreux cas pour lesquels aucune personne-contact à risque n’est enregistrée » et s’inquiétait du « faible nombre de nouveaux cas précédemment identifiés comme personnes-contacts à risque (20 %) ». 


La détection des clusters et le suivi de ceux en cours d’investigation reposent sur un système d’information distinct, déployé par Santé publique France le 11 mai 2020 : le SI-MONIC (Monitorage des clusters), alimenté par douze équipes régionales en métropole et quatre en outre-mer. Les ARS également en charge du traçage de niveau 3 adoptaient, pour leur part, le logiciel libre Sormas. 


La commission d’enquête de l’Assemblée nationale attribue les difficultés du traçage à « l’embolie du dispositif de dépistage » lors de la deuxième vague. « La fragilisation du dispositif de tests s’est mécaniquement répercutée sur les dispositifs de traçage et d’isolement. Les retards constatés pour réaliser les tests et les délais pour en obtenir les résultats n’ont pas permis d’agir avec une vraie efficacité sur la dynamique de l’épidémie. Cette situation a fragilisé notamment le travail des brigades sanitaires de la CNAM ». Rappelant qu’au 26 septembre, « 380 000 patients zéro avaient été contactés en moins d’un jour et un million de cas contact l’avaient été dans les 24 heures suivantes », elle regrette que le dispositif de traçage n’ait pas « pu compter sur les bénéfices escomptés de l’application StopCovid, dont l’inutilité sanitaire aura été manifeste ».


La commission d’enquête du Sénat porte un jugement nettement plus sévère sur les opérations de traçage : « le constat global reste celui d’un échec… Parmi les personnes qui ont été trouvées positives dans la deuxième semaine de septembre, quatre sur cinq n’avaient pas été identifiées comme cas contacts. Plusieurs témoignages se sont faits l’écho d’opérations de traçage lacunaires, parfois simplement non déclenchées ». Elle pointe un « défaut d’interconnexion de ces deux outils (SI-DEP et StopVaccins) lourd de conséquences ».. Les sénateurs semblent attribuer l’échec du traçage à l’éviction des médecins, à la suite des difficultés qu’ils auraient rencontrées pour accéder à ContactCovid, « un défaut d’implication… aggravé par la levée de l’obligation de prescription médicale pour les tests. Autre facteur d’échec, selon les sénateurs : « l’efficacité des opérations de traçage a été fortement compromise par une absence de communication entre les organismes chargés de la recherche des contacts et de la détection des clusters d’une part, et ceux habilités à prendre les mesures pour les limiter d’autre part ».

 

Submergée depuis plusieurs mois, l’Assurance-maladie a renoncé à appeler toutes les personnes-contacts à risque. Priorisant les appels téléphoniques vers les personnes testées positives, elle renvoie, désormais, par SMS, les personnes-cas contacts vers l’application Briserlachaine.org, conçue par l’ONG Bayes Impact: début avril, la proportion des cas contact investigués via cette application avait progressé en une semaine de 26 à 35 %. 


Le rendement décroissant de cette forme de traçage, qualifiée de « prospectif » (on demande aux personnes positives les coordonnées des individus qu'elles connaissent et ont croisé après leur contamination, pour les isoler à leur tour), relance le débat sur l’opportunité de réorienter la stratégie vers le traçage « rétrospectif » ou « inversé » ou encore « ascendant » (on remonte en arrière pour identifier la personne ou l’évènement « contaminant »). L’Assurance-maladie a expérimenté en mars 2021 cette approche du traçage dans deux départements où la circulation du virus est relativement faible. 


Un outillage numérique de la campagne vaccinale


Afin d’assurer la traçabilité des vaccins et des étapes de la vaccination, l’Assurance-maladie a ouvert, en janvier 2020, le téléservice Vaccin Covid. Le choix a été fait, en revanche, de s’appuyer sur trois plateformes privées pour la prise de rendezvous en ligne, en complément de la prise de rendez-vous par téléphone. Ces plateformes permettent aux personnes éligibles (selon des critères d’âge ou médicaux) de s’inscrire dans un centre, même loin de leur lieu de résidence.


La principale difficulté pour réserver un créneau résultait encore (quand cet article a été écrit) de la pénurie de vaccins. La priorité a été donnée aux personnes de 75 ans et plus. La presse a consacré de nombreuses enquêtes à ces personnes de 75 ans et plus, éloignées du numérique, qui devaient se faire aider par des proches ou des soignants pour réserver un créneau, ainsi qu’aux centres de vaccination en Seine-Saint-Denis qui virent « affluer des patients de départements voisins, plus connectés et plus au fait des possibilités de réserver des créneaux de vaccination en ligne ». La difficulté à obtenir un rendez-vous en ligne  a suscité la création d’applications alternatives, qui viennent colmater deux trous du dispositif.  Deux médecins, constatant  qu’un certain nombre de doses de vaccins étaient perdues, sont a l’origine d’une plateforme, CovidListe, qui permet de dresser des listes de volontaires. Lorsqu’un centre de vaccination dispose  de doses supplémentaires, il peut contacter les volontaires se trouvant à proximité. ViteMaDose détecte les créneaux de vaccination disponibles sur plateformes  Doctolib, Keldoc, Maiia, Ordoclic, MaPharma et permet  de les réserver.






Notre système de santé était mal préparé à une épidémie de cette ampleur. Des chantiers de numérisation, engagés pour certains depuis de longues années ou sur le point d’être déployés, comme la messagerie sécurisée de santé, ont été pris de court.


La crise sanitaire a accéléré des évolutions en cours : des usages qui peinaient à s’imposer, comme la téléconsultation, ont été massivement adoptés. Un Français sur quatre aurait communiqué par courrier électronique ou par SMS avec le pharmacien ou le médecin pour la première fois pendant la crise sanitaire. 70 % auraient pratiqué la prise de rendez-vous en ligne et 66 % l’envoi de résultats d’analyse ou de diagnostic en ligne.


Quand la crise a surgi, on a beaucoup improvisé, dans les hôpitaux, leurs groupements ou dans les ARS, pour faire face à l’absence ou aux limites des outils en place, et fait appel à des informaticiens pour développer, à la hâte, des outils provisoires. Qui pour certains durent encore. 


Crash test, cette crise a mis en relief la tentation de traiter chaque enjeu par un système d’information spécifique, des manques cruels d’interopérabilité et l’importance des chantiers comme l’Identifiant national de santé (INS) ou celui d’Espace numérique de santé (ENS), prévus dans la Feuille de route du numérique de santé. Une feuille de route dont la crise sanitaire n’a pas ralenti le déploiement. 


À la suite du Ségur de la Santé, le Plan de relance prévoit d’investir 600 millions d’euros en cinq ans dans le « rattrapage du retard sur les outils du numérique en santé ». La mise en œuvre de cette « Feuille de route » gagnerait à prendre en compte les capacités d’intelligence et d’agilité numériques dont ont fait preuve les acteurs et les équipes de terrain. 



Maurice Ronai



Références


  • Assemblée nationale. Rapport de la mission d’information sur l’impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l’épidémie de Coronavirus-Covid 19. Décembre 2020. 

  • Sénat. Rapport de la commission d’enquête pour l’évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la Covid-19 et de sa gestion. Décembre 2020.

  • Cour des comptes. Les établissements de santé face à la première vague de Covid-19 : exemples néo-aquitains et franc-comtois. Mars 2021.

  • Agence du numérique en santé : Bilan 2020 de la Feuille de route du numérique de santé.

  • PIARROUX R. (2020) La vague. L'épidémie vue du terrain, Paris, CNRS éditions, 2020.


Article publié dans Annales des Mines: Réponses numériques à la crise sanitaire

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