Royaume Uni : une réponse numérique efficace et quelques échecs retentissants

Le Royaume Uni avait engagé en 2011 une vigoureuse   «transformation numérique» de l’État et des services publics articulée autour de la stratégie « Government as a platform » et d’une agence interministérielle (le Government Digital Service). Cette stratégie a porté ses fruits dans de nombreux domaines : la crise sanitaire a révélé toutefois plusieurs faiblesses. 



Deux rapports parlementaires et une étude de l'Institute for government (IFG) apportent des éclairages sur la réponse des administrations a la crise sanitaire, et notamment sur la dimension proprement numérique de cette réponse.

 

 

« Des problèmes liés aux données et à l'héritage informatique »

 

Dans un rapport intitulé « Premières leçons de la réponse du gouvernement à la pandémie de COVID-19 », rendu public le 19 juillet 2021, la  Commission des comptes publics de la Chambre des Communes s’interroge sur « la capacité du gouvernement à prendre des décisions éclairées », une capacité  « entravée par la lenteur des progrès réalisés pour résoudre les problèmes de longue date liés aux données et à l'héritage informatique (…) Ces problèmes ont atteint leur paroxysme pendant la pandémie ». 

 

La commission des Comptes Publics pointe ainsi une série de défaillances. 


• En raison de l'absence ou de l'inexactitude des numéros de téléphone figurant dans les dossiers des patients du NHS, les services en charge de la recherche des contacts et de leur accompagnement pour l’isolement « n'ont pas pu assurer le suivi des lettres adressées à 375 000 personnes vulnérables par des appels téléphoniques ».


• « Les autorités locales n'ont pas eu accès à des informations clés provenant de NHS Test and Trace et les responsables de la santé publique n'ont pas reçu d’informations sur les tests effectués dans des laboratoires privés (…) Ces informations manquantes limitaient l'utilité des résultats des tests pour comprendre et gérer les épidémies au sein d'une communauté, mettant ainsi la santé publique en grand danger ».


La Commission mentionne également un manque de transparence du gouvernement « en raison de l'échec répété des ministères à fournir une justification complète des décisions clés ... Le gouvernement a souvent omis de publier des analyses coûts-avantages complètes ou les données et les statistiques sur lesquelles il appuie les décisions politiques clés. Le gouvernement n'a pas non plus publié en temps utile les détails des contrats attribués pendant la pandémie. Sur les 1 644 contrats attribués dans l'ensemble du gouvernement jusqu'à la fin du mois de juillet 2020 et d'une valeur supérieure à 25 000 livres sterling, 75 % n'ont pas été publiés dans le délai imparti de 90 jours. Cela risque d'affecter négativement la perception du public quant à l'ouverture du gouvernement et à sa responsabilité vis-à-vis de l'argent public ».


 

Malgré un coût exorbitant, le programme Test & Trace n’a pas tenu sa promesse
 

Dans un rapport publié en mars 2021, la Commission des Comptes Publics porte un jugement sévère sur le Programme « Test and Trace » (rebaptisé plus tard NHST&T) dont le cout total a atteint 37 milliards de livres sur deux ans (43 Mds Euros). On se souvient peut être que le secrétaire à la Santé, Matt Hancock, avait opté pour un système centralisé et qu’il en avait confié la gestion à des prestataires privés : le cabinet Deloitte, pour l’organisation des tests, Serco et  Sitel pour les centres d'appel et la recherche des contacts.  

 

« Pour justifier l'ampleur des investissements, le ministère de la Santé avait fait valoir qu’un système de test et de traçage des contacts efficace permettrait d’éviter un deuxième verrouillage national, mais depuis sa création, nous avons eu deux autres verrouillages ».


« NHST&T publie de nombreuses données sur les performances, mais celles-ci ne démontrent pas à quel point le test et le traçage sont efficaces pour réduire la transmission du COVID »


« NHST&T a toujours du mal à faire correspondre systématiquement l'offre et la demande pour ses services de test et de traçabilité, ce qui entraîne soit des performances inférieures aux normes, soit une capacité excédentaire »


« S’il a dû agir rapidement pour déployer le service, NHST&T reste  encore trop tributaire de sous-traitants coûteux et de personnel temporaire.  NHST&T doit réduire considérablement sa dépendance à l'égard de consultants coûteux ».


« L'introduction des tests à résultats rapides était censée changer la donne, mais la confusion persiste quant à savoir pourquoi et comment ils devraient être utilisés selon les différents contextes communautaires »  


« Il n'y a toujours pas de preuve claire de l'efficacité globale de NHST&T… Ni que sa contribution à la réduction des niveaux d'infection (compte tenu des autres mesures introduites pour lutter contre la pandémie) justifie ses coûts inimaginables».


Selon le think tank Institute for Government, « le gouvernement a bien utilisé la technologie numérique au début de la crise pour gérer les défis émergents, souvent inédits…de nombreux nouveaux services ont été fournis en un temps record et le travail de l'administration centrale s'est poursuivi avec seulement quelques petits accrocs ».

 

Parmi les réussites, l’IFG mentionne

 

• Les programmes d'aide financière du ministère des recettes et des douanes (HMRC) : pour le chômage partiel (Coronavirus Job Retention Scheme), l’aide aux indépendants (Self-Employed Income Support Scheme) et aux  arrêts-maladie  (Statutory Sick Pay Scheme). « Ces systèmes ont été mis en place en l'espace de quelques semaines : entre mars et décembre 2020, ils ont géré des paiements d'une valeur de plus de 69,4 milliards de livres (82 Mds Euros) ».


• L’utilisation de la visioconférence par les tribunaux, déployée entre avril et juillet dans la plupart des tribunaux, avec toutefois « des préoccupations importantes soulevées à propos des procédures pénales virtuelles pour des questions d'équité »


• Gov.uk, le point d'accès unique aux services des administrations. « Pendant la crise, les organisations gouvernementales ont créé de nouveaux sites web et des tableaux de bord en ligne qui ont fourni des informations en temps réel aux fonctionnaires et au public ». Fin mai, le gouvernement avait lancé 69 nouveaux services.  La plupart d’entre eux avaient des fonctions étroites qui répondaient à des besoins nouveaux et spécifiques ».

 

Satisfecit aussi pour les « plateformes numériques du gouvernement qui ont permis aux administrations centrales et aux collectivités locales de répondre à la crise plus rapidement et plus efficacement ». Depuis sa création en décembre 2011, le GDS a développé un ensemble de composants et de processus numériques standard réunis sous le label « Government as a Platform », qui ajoutent des fonctions spécifiques à d'autres services: en particulier Notify (une messagerie automatisée), Pay (un service de paiement) et Verify (garantie d'identité). « Ces composants ont eu des résultats mitigés, mais ont vraiment montré leur valeur pendant la crise ».


• Pendant la crise, Verify  a été en mesure d'absorber le choc d'une augmentation soudaine du nombre de nouveaux inscrits au programme Universal Credit, une situation critique à un moment où tant de personnes se retrouvaient soudainement sans emploi


• Notify a permis aux organisations publiques d'envoyer des messages automatisés en utilisant leurs propres services numériques. En février 2020, 1785 services différents fournis par 521 organisations différentes adressaient des messages via Notify. Fin novembre 2020, près de 900 organisations gouvernementales utilisaient Notify (3 700 services).


L’IFG revient aussi sur le basculement des administrations vers le télétravail. «Les ministères ont dû s'adapter à une échelle sans précédent. Même si tous les ministères disposaient avant la crise de dispositifs pour le travail à distance, la part de fonctionnaires travaillaient à domicile un jour donné ne dépassait pas 3%.  Ce chiffre est rapidement passé à plus de 90 % pour tous les ministères. L'absence d'une plate-forme standard pour la visioconférence dans l'ensemble de l'administration a constitué un problème crucial». Au moins cinq plateformes différentes étaient utilisées par défaut dans différentes parties de l'administration, et de nombreux ministères empêchaient activement leur personnel d'utiliser les plateformes utilisées par d'autres.  Le GDS a lancé le "Project Unblock" pour résoudre ce problème et faciliter les échanges entre fonctionnaires. Le 15 juillet, une seule plate-forme (Microsoft Teams) était accessible aux fonctionnaires de tous les services.

 

Des échecs retentissants

 

« La pandémie a montré que la technologie, bien que précieuse, n’est pas une panacée pour tous les problèmes … Le gouvernement a rencontré des difficultés lorsqu'il a essayé d'utiliser le numérique pour faire des choses nouvelles et non testées ».

 

IFG pointe ici deux échecs : l’algorithme de notation pour l’admission aux grandes universités et l’application de signalement des contacts


• L’algorithme de notation, destiné a remplacer le test de fin d’année et conçu pour harmoniser les notes des élèves, il a pénalisé des conduit des milliers d'étudiants. Près de 40% des notes attribuées étaient inférieures aux prévisions des enseignants. « L’algorithme a fonctionné exactement comme il avait été conçu, le problème était que la conception était médiocre ». Les problèmes liés à l'algorithme ont plusieurs causes profondes. Les choix ont mis l'accent sur la technologie et marginalisé l'expertise et la compréhension des enseignants qui travaillent avec les élèves. Et le processus de développement de l'algorithme n'a pas fait appel à des experts externes»..  


• L’application de signalement des contacts : « Le gouvernement avait initialement prévu de mettre en place un système centralisé, conservant toutes les données relatives aux contacts dans une base de données centrale. Il a ensuite lancé une nouvelle application, basée sur la technologie décentralisée utilisée par Google et Apple en septembre 2021. Au 31 décembre, elle avait été téléchargée plus de 21 millions de fois, soit 57 % de de la population adulte possédant un smartphone et 45 % de tous les adultes, ce qui en limite inévitablement la portée. NHS Scotland et Health and Social Care Northern Ireland ont développé leurs propres applications ».


« Ces deux épisodes, observe l’IFG, « ont révélé les risques liés à l'application d'une nouvelle approche technologique à un nouveau problème. Les solutions numériques réussies fonctionnent lorsque la technologie ou le problème sont déjà bien compris. Si les deux sont nouveaux, le risque d'échec est accru, surtout lorsque les délais sont très serrés, comme ce fut le cas en 2020. Ce défi fondamental pour la transformation numérique a été exacerbé par l’enthousiasme des ministres pour des technologies spécifiques : le choix d’une solution technique pour résoudre un problème, plutôt que de partir du problème et de choisir la  solution la plus appropriée pour le résoudre. Dans tous les cas, le point de départ doit être le problème, jamais la technologie », conclut l’IFG.

 

«Les ministres, ajoute l’IFG, doivent reconnaître que, si la technologie peut apporter des "gains rapides », ces succès sont le fruit d'années de travail minutieux, souvent dans les coulisses.  Le gouvernement a été en mesure d'accomplir ce qu'il a fait pendant la crise grâce à un groupe d'experts numériques, un mélange de programmeurs, de concepteurs, de développeurs, d'analystes de données, de scientifiques des données et de spécialistes de l'informatique, des fonctionnaires pour la plupart regroupés dans quelques ministères, qui avaient la capacité de faire des choses plus ambitieuses avec la technologie numérique ».


On attend désormais le rapport conjoint des commissions « Health and Social Care » et « Science and Technology ». 




Sources

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