Angleterre : un système de traçage centralisé, coûteux et dysfonctionnel
Lorsque le programme « test and trace » a été lancé fin mai, Boris Johnson promettait qu’il serait le « meilleur du monde ».
Chargé au printemps de déployer la stratégie « test and trace », le secrétaire à la Santé, Matt Hancock, avait opté pour un système centralisé et en avait confié la gestion à deux entreprises privées : le cabinet Deloitte, pour l’organisation des tests, Serco et le franco-américain Sitel (ex-Acticall, famille Mulliez) pour les centres d'appel et la recherche des contacts. Pour un budget (tests et traçage) de 12 milliards de livres.
Quelque 25 000 personnes ont été recrutées par Serco et ses sous-traitants pour assurer le suivi et l'accompagnement des personnes testées positives et de leurs cas-contact.
Si le programme « test and trace» a renforcé la capacité de test de 2 000 par jour à environ 300 000 par jour, les délais de transmission des résultats limitent l’efficacité de la recherche de contacts.
Le pourcentage de personnes testées positives et invitées à signaler les personnes avec qui elles ont eu des contacts étroits se dégrade, en fait, entre juin et début octobre.
Entre 25% et un tiers des personnes qui ont été en contact avec une personne testée positive pour le virus restent en dehors des radars : elles n'ont jamais été contactées par les centres d’appel mis en place par Serco et ses sous-traitants (et n'ont, de ce fait, pas été invitées à s’isoler pendant 14 jours).
Au total, le nombre de cas-contact "manqués" (qui n'ont pas été contactés) serait d'environ 250 000 personnes selon le Parti travaillise, de 80 000 selon le service de recherche de la Chambre des Communes.
Dans un avis en date du 21 septembre, le Conseil scientifique du gouvernement émet un signal d’alerte : « Un système efficace de test, de traçage et d'isolement (TTI) est important pour réduire l'incidence des infections dans la communauté. Il est difficile d'estimer l'efficacité de ce système sur le taux de reproduction. Les niveaux relativement faibles d'engagement dans le système, associés aux retards dans les tests et aux faibles taux d'adhésion à l'auto-isolement, suggèrent que ce système a un impact marginal sur la transmission à l'heure actuelle. À moins que le système ne se développe au même rythme que l'épidémie et qu'un soutien ne soit apporté aux personnes pour leur permettre d'adhérer à l'auto-isolement, il est probable que l'impact du test, de la trace et de l'isolement continuera à diminuer à l'avenir ».
La responsable du programme, Sarah-Jane Marsh, a démissionné au bout de six mois, remplacée par l’ancien PDG de la chaine de distribution Sainsbury.
La mise en œuvre du programme Test and Trace a été ponctuée depuis juin par une serie de controverses.
- De nombreux reportages dans la presse ont rapporté le désoeuvrement des enquêteurs dans les centres d'appel, payés à rien faire, qui n'ont pris contact avec personne pendant des jours, qui regardent des films sur Netflix ou tuent le temps en jouant à des jeux video.
- Début octobre, la presse rapportait qu'en raison d'un bug informatique, le programme avait perdu la trace de 16 000 personnes testées positives (qui auraient dû s’isoler et signaler leurs contacts) : le problème venait d'un tableur Excel qui ne permettait pas d'enregistrer des cas positifs.
- La presse rapporte en octobre que SERCO (l’opérateur du volet « recherche de contacts) s'attend à ce que son bénéfice en 2020 dépasse celui de 2019, ceci un jour après que le programme Test and Trace enregistre sa sa pire performance en matiere de recherche de contacts (62,6% des contacts contactés par les centres d’appel, en baisse par rapport aux 69,5% de la semaine précédente.
- The Times rapporte que le gouvernement paie royalement les consultants du Boston Consulting Group (BCG) pour mettre en place et à faire fonctionner le programme « test and trace » avec des tarifs journaliers d'environ 7000 livres, ce qui équivaut à un salaire d'environ 1,5 million de livres.
- On a également appris que les contrats passés entre le gouvernement et ses deux fournisseurs, Serco et Sitel, ne prevoient aucune pénalité en cas de sous-performance. Les experts scientifiques du gouvernement (SAGE) en mai dernier avaient recommandé un objectif de 80% de cas-contact rappelés dans les 24h.
Le gouvernement a finalement accepté de partager des données en temps réel avec les autorités locales en août, mais seulement après que plusieurs municipalités aient menacé de mettre en place leur propre système géré localement.
Les collectivités pourraient désormais se voir attribuer une plus grande responsabilité en matière de recherche des contacts. Robert Jenrick, le secrétaire d'État au Logement et au Gouvernement local, a déclaré que le gouvernement allait désormais s'appuyer les collectivités pour rechercher et appeler les contacts» parce qu'il y a «des preuves claires que les conseils locaux sont bons dans ce domaine... Les personnes qui connaissent leur propre communauté, particulièrement difficiles à atteindre, sont forcément meilleures que Whitehall ou les traceurs de contacts nationaux, alors nous allons les aider à le faire".
Les experts en santé publique ont accueilli favorablement la décision : ils se demandent pourquoi elle n'avait pas été prise il y a des mois et signalent qu'un financement important serait nécessaire.
Face au fiasco du programme « test and trace », des responsables gouvernementaux envisageraient d’introduire un «traçage en amont».
Sources
Test And Trace Hits Another New Low With Worst Ever Contact Tracing Rate
What has gone wrong with England's Covid test-and-trace system?
Nearly 250,000 contacts of coronavirus cases missed by test and trace
The failure of test and trace shows the folly of handing huge contracts to private giants
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La privatisation de la recherche de contacts en Angleterre est un fiasco